Dans le cadre du chapitre du programme de Terminale sur "l'historien et les mémoires de la Guerre d'Algérie", une des élèves de Terminale L d'Epinal, Nina Drocourt, nous a présenté quelques œuvres d'Ernest Pignon-Ernest. Voici un extrait de cette présentation. Un grand merci à Nina.
Eléments biographiques :
Ernest
Pignon-Ernest (né en 1942 à Nice) est un plasticien, précurseur de l’art urbain en France qui, à
dix-neuf ans, dût partir comme soldat en Algérie faire une guerre qu’il
considère comme « l’évènement le plus violent de sa vie» puisqu’il
annonce notamment que «cette guerre d’Algérie est à l’origine de sa
conscience politique».
Son œuvre au service de la mémoire
de la Guerre d'Algérie :
La première œuvre qu’il compose en hommage à cette guerre « destructrice
» (1962) est une réappropriation de Guernica de Picasso, où le taureau
est habillé d’une tenue militaire camouflée. Ernest Pignon-Ernest a
ébauché dans cette représentation ce qui allait singulariser sa démarche
artistique : derrière son art, il prend une réelle position qui
s’apparente explicitement à un acte militant. Soldat en Algérie quelques
mois avant l’indépendance, il « dit » d’un geste son refus de cette
guerre et des violences qui l’accompagne en mobilisant ce qui est devenu
l’image emblématique de tous les massacres. L’animal peint sur une page
de La dépêche d’Alger fait immerger une certaine mémoire meurtrie, où
émergent colère et remords, sur le terrain le plus banal, le plus
quotidien comme si deux formes d’informations se conjuguaient. Le
taureau de combat n’est plus la bête farouche et noble des arènes mais
un minotaure aux ordres du gouvernement français et son uniforme
l’enrôle, en fait un instrument de répression, une arme sans état d’âme.
Il y a dans cette œuvre brutale un fond de souffrance, d’effroi et de
fragilité : à la pliure le journal est déchiré, les cornes de l’animal
encadrent les avis de décès et les brèves imprimés en arrière fond ne
parlent que de règlements de compte. Le peintre témoigne ici d’une
tragédie sombre sans accent héroïque, d’une sale guerre à l’agonie, où
il s’est trouvé impliqué à son corps défendant. Sa peinture remplit
ainsi une double fonction, celle de dénoncer aux yeux de tous et celle
d’exorciser pour soi.
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Œuvre de Pignon-Ernest sur les marches du métro Charonne, 1971 |
«Sur les parois de l’oubli », hommage d’Ernest Pignon-Ernest aux morts de Charonne :
Dans le
besoin perpétuel d’exorciser une mémoire trop pesante, le plasticien
réalise en 1971 un hommage aux morts de la manifestation de Charonne et à
propos de son œuvre il déclare :
« Le métro Charonne est autant un caveau qu'une pierre tombale. Quand je
colle une affiche dans ce lieu, je fais remonter à la surface le
souvenir du drame qui s'est passé dix ans auparavant. La bouche de métro
provoque une cassure avec le trottoir. Les affiches collées sur les
marches, accentuent encore plus cette rupture. Le corps s'en trouve
modifié, il est littéralement démantibulé. Cette idée se renforçait par
le piétinement des usagers. Ils sont obligés d'emprunter cette entrée et
de fouler les affiches collées sur le sol, cette intervention se
télescopant sur la guerre d’Algérie ».
Dans son combat pour dénoncer les pratiques de la guerre d’Algérie,
l’artiste utilise donc la mémoire collective en affichant ses œuvres
dans des espaces liés au combat pour la liberté notamment les quais de
Seine d’où on a jeté des algériens en octobre 1961 : « C’est là que j’ai compris
comment, en inscrivant mes images dans un lieu, je stigmatisais les
lieux en quelque sorte. Je prenais le lieu à la fois - c’est le cas au
métro Charonne - comme un objet plastique, c’est-à-dire ce trou dans la
ville, ce qu’il infligeait aux images, cette espèce de rupture des corps
collés sur les marches, cette espèce de violence qui était faite à
l’image et en même temps pour ses qualités symboliques, le souvenir des
morts du métro Charonne ».
Nina
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Le parcours Maurice Audin réalisé à Alger en 2003 |
Pour prolonger ce travail, évoquons rapidement une oeuvre plus récente effectuée par Ernest Pignon-Ernest à Alger en 2003. Il s'agit d'un hommage au mathématicien et militant anticolonialiste Maurice Audin, enlevé, torturé et tué par l'armée française en 1957. Des portraits en pied de Maurice Audin ont été réalisés sur les lieux où il a vécu et où il a souffert. Le corps de Maurice Audin n'a jamais été retrouvé. Avec l'aide de sa veuve Josette Audin, Pignon-Ernest a voulu symboliser "les dérives, les monstruosités de la guerre coloniale et le courage, la dignité, les sacrifices de ceux qui se sont élevés contre cette guerre déshonorante pour notre pays." (extrait d'un entretien au quotidien L'Humanité à lire en intégralité ici).
Dans ce travail comme dans les précédents, Ernest Pignon-Ernest se place donc résolument du côté de la mémoire des militants anticolonialistes, en particulier des communistes.
Le site d'Ernest Pignon-Ernest
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