يد واحده ما تصفق

Yedd ouahda ma tsafek
Une main toute seule ne peut pas applaudir

mercredi 26 septembre 2012

Ernest Pignon-Ernest et la Guerre d'Algérie

Dans le cadre du chapitre du programme de Terminale sur "l'historien et les mémoires de la Guerre d'Algérie", une des élèves de Terminale L d'Epinal, Nina Drocourt,  nous a présenté quelques œuvres d'Ernest Pignon-Ernest. Voici un extrait de cette présentation. Un grand merci à Nina.


Eléments biographiques :
Ernest Pignon-Ernest (né en 1942 à Nice) est un plasticien, précurseur de l’art urbain en France qui, à dix-neuf ans, dût partir comme soldat en Algérie faire une guerre qu’il considère comme « l’évènement le plus violent de sa vie» puisqu’il annonce notamment que «cette guerre d’Algérie est à l’origine de sa conscience politique».

Son œuvre au service de la mémoire de la Guerre d'Algérie :

La première œuvre qu’il compose en hommage à cette guerre « destructrice » (1962) est une réappropriation de Guernica de Picasso, où le taureau est habillé d’une tenue militaire camouflée. Ernest Pignon-Ernest a ébauché dans cette représentation ce qui allait singulariser sa démarche artistique : derrière son art, il prend une réelle position qui s’apparente explicitement à un acte militant. Soldat en Algérie quelques mois avant l’indépendance, il « dit » d’un geste son refus de cette guerre et des violences qui l’accompagne en mobilisant ce qui est devenu l’image emblématique de tous les massacres. L’animal peint sur une page de La dépêche d’Alger fait immerger une certaine mémoire meurtrie, où émergent colère et remords, sur le terrain le plus banal, le plus quotidien comme si deux formes d’informations se conjuguaient. Le taureau de combat n’est plus la bête farouche et noble des arènes mais un minotaure aux ordres du gouvernement français et son uniforme l’enrôle, en fait un instrument de répression, une arme sans état d’âme. Il y a dans cette œuvre brutale un fond de souffrance, d’effroi et de fragilité : à la pliure le journal est déchiré, les cornes de l’animal encadrent les avis de décès et les brèves imprimés en arrière fond ne parlent que de règlements de compte. Le peintre témoigne ici d’une tragédie sombre sans accent héroïque, d’une sale guerre à l’agonie, où il s’est trouvé impliqué à son corps défendant. Sa peinture remplit ainsi une double fonction, celle de dénoncer aux yeux de tous et celle d’exorciser pour soi.



Œuvre de Pignon-Ernest sur les marches du métro Charonne, 1971
«Sur les parois de l’oubli », hommage d’Ernest Pignon-Ernest aux morts de Charonne :

Dans le besoin perpétuel d’exorciser une mémoire trop pesante, le plasticien réalise en 1971 un hommage aux morts de la manifestation de Charonne et à propos de son œuvre il déclare : « Le métro Charonne est autant un caveau qu'une pierre tombale. Quand je colle une affiche dans ce lieu, je fais remonter à la surface le souvenir du drame qui s'est passé dix ans auparavant. La bouche de métro provoque une cassure avec le trottoir. Les affiches collées sur les marches, accentuent encore plus cette rupture. Le corps s'en trouve modifié, il est littéralement démantibulé. Cette idée se renforçait par le piétinement des usagers. Ils sont obligés d'emprunter cette entrée et de fouler les affiches collées sur le sol, cette intervention se télescopant sur la guerre d’Algérie ». Dans son combat pour dénoncer les pratiques de la guerre d’Algérie, l’artiste utilise donc la mémoire collective en affichant ses œuvres dans des espaces liés au combat pour la liberté notamment les quais de Seine d’où on a jeté des algériens en octobre 1961 : « C’est là que j’ai compris comment, en inscrivant mes images dans un lieu, je stigmatisais les lieux en quelque sorte. Je prenais le lieu à la fois - c’est le cas au métro Charonne - comme un objet plastique, c’est-à-dire ce trou dans la ville, ce qu’il infligeait aux images, cette espèce de rupture des corps collés sur les marches, cette espèce de violence qui était faite à l’image et en même temps pour ses qualités symboliques, le souvenir des morts du métro Charonne ».

Nina



Le parcours Maurice Audin réalisé à Alger en 2003

 Pour prolonger ce travail, évoquons rapidement une oeuvre plus récente effectuée par Ernest Pignon-Ernest à Alger en 2003. Il s'agit d'un hommage au mathématicien et militant anticolonialiste Maurice Audin, enlevé, torturé et tué par l'armée française en 1957. Des portraits en pied de Maurice Audin ont été réalisés sur les lieux où il a vécu et où il a souffert. Le corps de Maurice Audin n'a jamais été retrouvé. Avec l'aide de sa veuve Josette Audin, Pignon-Ernest a voulu symboliser "les dérives, les monstruosités de la guerre coloniale et le courage, la dignité, les sacrifices de ceux qui se sont élevés contre cette guerre déshonorante pour notre pays." (extrait d'un entretien au quotidien L'Humanité à lire en intégralité ici).

Dans ce travail comme dans les précédents, Ernest Pignon-Ernest se place donc résolument du côté de la mémoire des militants anticolonialistes, en particulier des communistes.


Le site d'Ernest Pignon-Ernest