يد واحده ما تصفق

Yedd ouahda ma tsafek
Une main toute seule ne peut pas applaudir

dimanche 3 mai 2009

Ce que le jour doit à la nuit

Dans son œuvre, Yasmina Khadra nous fait découvrir un personnage principal qui, tout au long de sa vie, reflète les relations franco-algérienne des années trente à nos jours. Il est tiraillé à la fois par ses origines algériennes et par son éducation occidentale à l’image d’une Algérie déchirée entre deux cultures. Chaque point de vue est détaillé par l’auteur et souligne ce que l’histoire d’un pays doit à celle de l’autre, Ce que le jour doit à la nuit.


Younès, le protagoniste de ce roman, est né dans une modeste famille algérienne. Durant sa tendre enfance, il est imprégné des traditions et du mode de vie maghrébins. Jusqu’à la ruine de son père qui se voit contraint de la confier à son oncle de Oran, un pharmacien marié à une occidentale. Il bascule alors dans un autre univers ; Younès devient Jonas. C’est à ce moment là que commence son conflit intérieur qui se prolongera jusqu’à la fin de sa vie.


Le début d’une recherche d’identité :

- Bon, concéda Germaine, Jonas et moi allons prendre un bon bain.

- Je m’appelle Younès, lui rappelai-je.

Elle me gratifia d’un sourire attendri, glissa la paume de sa main sur ma joue et me souffla à l’oreille :

- Plus maintenant, mon chéri…

Trop arabe pour les colons, trop occidental pour les maghrébins, il éprouve des difficultés à s’intégrer et en souffre. À peine un semblant d’équilibre retrouvé, il est ébranlé par le conflit qui fait rage et par un amour impossible avec Emilie.


En effet, la demande d’indépendance algérienne divise les opinions. Younès est déchiré entre les deux principaux points de vue mais, ses origines prenant le dessus, il finit par jouer le rôle de médiateur en faveur des maghrébins. Son dialogue avec Jaime Jiménez Sosa, l’archétype du colon résume parfaitement la situation.


Point de vue de Jaime Jiménez Sosa, point de vue colonialiste :

Lorsque mon arrière grand père a jeté son dévolu sur ce trou de cul, il était certain de mourir avant d’en tirer le moindre profit… J’ai des photos à la maison. Il n’y avait pas un cahute à des lieux à la ronde, pas un arbre, pas une carcasse de bête que l’érosion aurait blanchie. Mon arrière grand père n’a pas pour autant poursuivi son chemin. Il a retroussé ses manches, fabriqué des ses dix doigts les outils dont il avait besoin et s’est mis à sarcler, à défricher, à débourrer la terre à ne plus pourvoir se servir de ses mains pour couper une tranche de pain… C’était la galère le jour et le bagne le soir, et l’enfer toutes les saisons. Et les miens n’ont pas baissé les bras ; pas une fois, pas un instant. Certains crevaient d’efforts surhumains, d’autres succombaient aux maladies, et pas un n’a douté une seconde de ce qu’il était en train d’accomplir. Et grâce à ma famille, Jonas, grâce à ses sacrifices et à sa foi, le territoire sauvage s'est laissé apprivoiser. De génération en génération, il s'est transformé en champs et en vergers. Tous les arbres que tu vois autour de nous racontent un chapitre de l'histoire de mes parents. Chaque orange que tu presses te livre un peu des leur sueur, chaque nectar retient encore la saveur de leur enthousiasme. D'un geste théâtral, il me montra sa ferme :

— Cette grande bâtisse qui me sert de forteresse, cette vaste maison toute blanche où je suis ; venu au monde et où, enfant, j'ai couru comme un fou, eh bien, c'est mon père qui l'a élevée de ses propres mains telle une stèle à la a gloire des siens... Ce pays nous doit tout... Nous avons tracé des routes, posé les rails de chemin de fer jusqu'aux portes du Sahara, jeté des ponts par-dessus les cours d'eau, construit des villes plus belles les unes que les autres, et des villages de rêve au détour des maquis... nous avons fait d'une désolation millénaire un pays magnifique, prospère et ambitieux, et d'un misérable caillou un fabuleux jardin d'Éden... Et vous voulez nous faire croire que nous nous sommes tués à la tâche pour des prunes ?

Son cri était tel que je reçus les éclaboussures de sa salive sur la figure.

Ses yeux s'assombrirent quand il a agita sentencieusement le doigt sous mon nez :

— Je ne suis pas d'accord, Jonas… Nous n'avons pas usé nos bras et nos cœurs pour des volutes de fumée... Cette terre reconnaît les siens, et c'est nous, qui l'avons servie comme on sert rarement sa propre mère. Elle est généreuse parce qu'elle sait que nous l'aimons. Le raisin qu'elle nous offre, elle le boit avec nous. Tends-lui l'oreille, et tu l'entendras te dire que nous valons chaque empan de nos champs, chaque fruit dans nos arbres. Nous avons trouvé une contrée morte et nous lui avons insufflé une âme. C'est notre sang et notre sueur qui irriguent ses rivières. Personne, monsieur Jonas, je dis bien personne, ni sur cette planète ni ailleurs, ne pourrait nous dénier le droit de continuer de la servir jusqu'à la fin des temps... Surtout pas ces pouilleux de fainéants qui croient, en assassinant de pauvres bougres, nous couper l'herbe sous le pied.

Le verre vibrait dans son poing. Tout son visage était retourné, et son regard tentait de me traverser de part et d'autre.

— Ces terres ne sont pas les leurs. Si elles le pouvaient, elles les maudiraient comme je les maudis chaque fois que je vois des flammes criminelles réduire en cendres une ferme au loin. S'ils pensent nous impressionner de cette façon, ils perdent leur temps et le nôtre. Nous ne céderons pas. L'Algérie est notre invention. Elle est ce que nous avons réussi le mieux, et nous ne laisserons aucune main impure souiller nos graines et nos récoltes.

Point de vue de Younès, point de vue des maghrébins :

Jaillissant d'une oubliette de mon subconscient, alors que je croyais l'avoir définitivement enterrée, l'image d'Abdelkader écarlate de honte sur l'estrade de la classe de mon école primaire fulmina dans mon esprit. Je le revis nettement grimaçant de douleur tandis que les doigts de l'instituteur lui tordaient l'oreille. La voix stridente de Maurice explosa dans ma tête : « Parce que les Arabes sont des paresseux, monsieur !» Son onde de choc se répercuta à travers mon corps comme une détonation souterraine à travers les douves d'une forteresse. La même colère, qui m'avait happé ce jour-là à l'école, m'inonda. De la même façon. Telle une lave giclant du plus profond de mes tripes. D'un coup, je perdis de vue l'objet de ma visite, les risques qu'encourait Jelloul, les angoisses de sa mère, et me mis à ne voir que M. Sosa debout au faîte de son arrogance, que l'éclat malsain de sa morgue hypertrophiée qui donnait à la couleur du jour quelque chose de purulent.

Sans m'en rendre compte, et incapable de me contenir, je me dressai devant lui et, d'une voix débarrassée de caillots, tranchante et nette comme la lame d'un cime¬terre, je lui dis :

— Il y a très longtemps, monsieur Sosa, bien avant vous et votre arrière arrière grand père, un homme se tenait à l'endroit où vous êtes. Lorsqu'il levait les yeux sur cette plaine, il ne pouvait s'empêcher de s'identifier à elle. Il n'y avait pas de routes ni de rails, et les lentisques et les ronces ne le dérangeaient pas. Chaque rivière, morte ou vivante, chaque bout d'ombre, chaque caillou lui renvoyaient l'image de son humilité. Cet homme était confiant. Parce qu'il était libre. Il n'avait, sur lui, qu'une flûte pour rassurer ses chèvres et un gourdin pour dissuader les chacals. Quand il s'allongeait au pied de l'arbre que voici, il lui suffisait de fermer les yeux pour s'entendre vivre. Le bout de galette et la tranche d'oignon qu'il dégustait valaient mille festins. Il avait la chance de trouver l'aisance jusque dans la frugalité. Il vivait au rythme des saisons, convaincu que c'est dans la simplicité des choses que résidait l'essence des quiétudes. C'est parce qu'il ne voulait de mal à personne qu'il se croyait à l'abri des agressions jusqu'au jour où, à l'horizon qu'il meublait de ses songes, il vit arriver le tourment. On lui confisqua sa flûte et son gourdin, ses terres et ses troupeaux, et tout ce qui lui mettait du baume à l'âme. Et aujourd'hui, on veut lui faire croire qu'il était dans les parages par hasard, et l'on s'étonne et s'insurge lorsqu'il réclame un soupçon d'égards... Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur. Cette terre ne vous appartient pas. Elle est le bien de ce berger d'autrefois dont le fantôme se tient juste à côté de vous et que vous refusez de voir. Puisque vous ne savez pas partager, prenez vos vergers et vos ponts, vos asphaltes et vos rails, vos villes et vos jardins, et restituez le reste à qui de droit. […] Vous devriez jeter un œil sur les hameaux alentour, monsieur Sosa. Le malheur y sévit depuis que vous avez réduit des hommes libres au rang de bêtes de somme.

L’affrontement physique est très violent et touche directement les proches de Younès. De son oncle, détruit moralement après son arrestation par la police à la mort de deux amis, José Sosa et Simon Benyamin. Des blessures profondes se créent alors et le groupe d’amis de jadis est dissout. Younès prend aussi part au conflit en soignant le chef du mouvement indépendantiste mais est emprisonné. Paradoxalement, il doit son salut à la confiance que lui accorde Pépé Rucillio, un colon fortuné. Après l’indépendance, la tendance s’inverse : Younès fait libérer un de ses amis d’enfance, Jean-Christophe, le plus féroce militant de l’OAS (Organisation de l'Armée Secrète : « L’Algérie est française et le restera »).


Les colons sont chassés d’Algérie et partent par bateaux entiers rejoindre les côtes française. Aujourd’hui, ils ne parlent plus de nostalgie mais de « nostalgérie ».


La nostalgérie d’après André Sosa :

L’Algérie me colle à la peau, avoue-t-il. Des fois, elle me ronge comme une tunique de Nessus, des fois, elle m’embaume comme un parfum délicat. J’essaie de la semer et n’y arrive pas. Comment oublier ?

De passage en France pour les obsèques de son amour de jeunesse Jonas retrouve quelques personnes plus ou moins proches qui ont laissé un bout de leur histoire là-bas. Les blessures d’autrefois sont encore vives mais un pardon réciproque s’opère. Même avec Krimo, un homme qui le tortura durant son passage en prison, les souvenirs restent mais la paix semble établie. Younès retrouve enfin la sérénité avec les dernières pensées d’Emilie :

Pardonne-moi comme je t’ai pardonné.


Cet amour impossible est la métaphore des relations franco-algériennes et cette réconciliation traduit la reconnaissance mutuelle entre les deux peuples. L’auteur rappelle que, malgré les atrocités commises par les deux camps, la coexistence et le respect sont encore possible, c’est Ce que le jour doit à la nuit.



6 commentaires:

Stéphanie Gailmain a dit…

Et vous quel est votre avis sur le livre?

E.AUGRIS a dit…

Travail pertinent et de qualité sur le fond comme sur la forme (très sympa ces menus déroulants !). D'accord avec ma collègue, on aurait aimé votre avis sur le livre.
Manquent quelques liens pour prolonger.

Anonyme a dit…

Karim Sarroub, psychanalyste et romancier, accuse Yasmina Khadra d’avoir, dans son dernier roman Ce que le jour doit à la nuit (2008), plagié le récit Les amants de Padovani de l’écrivain algérien Youcef Dris, sorti en 2004 seulement en Algérie. Il reproche à l’ancien officier de l’armée algérienne de s’être largement inspiré du livre de Youcef Dris tout en dénaturant l’histoire de ses deux amants qui ont réellement existé dans l’Algérie des années 30. Le psychanalyste a publié sa note sur son blog (Nouvel Obs) où il donne tous les détails, y compris les photos des deux amants, et qualifie par la même occasion le roman de Yasmina Khadra de sous littérature. Tout le monde en prend pour son grade. (Déborah Walter, Le Monde) http://latraverseedudesir.blog.lemonde.fr/

Fiducis a dit…

Yasmina Khadra est sûrement un bon auteur vu le succès qu'il a, mais ça ne l'autorise pas de copier un confrère, même moins(pas encore)publié d'ouvrages en France ou ailleurs qu'en Algérie. Ce qu'en disait la presse algérienne en 2004 à la parution du livre de Youcef Dris est éloquent, en voici la preuve à travers ce lien: http://home.nordnet.fr/~jcpillon/piedgris/Auteurs/Dris.html
C'est honteux!

Anonyme a dit…

Chers tous,
Yasmina Khadra n'est pas accusé d'un plagiat, mais de deux plagiats.

Pour un des plagiats, le premier, il a d'ailleurs été contraint de le reconnaître et de retirer son livre des librairies.

Et le plagiat est inscrit sur le site d'une encyclopédie.

Tout dans le détail ici :

http://karimsarroub.blog.lemonde.fr/2010/04/10/ce-que-yasmina-khadra-doit-a-tahar-wattar/

http://karimsarroub.blog.lemonde.fr/2009/11/29/ce-que-yasmina-khadra-doit-a-youcef-dris/

http://www.wikio.fr/article/yasmina-khadra-est-il-mythomane-240484558

http://www.lepost.fr/article/2011/01/09/2364412_l-incompetence-de-gregoire-lemenager-sur-le-plagiat-de-yasmina-khadra.html

Anonyme a dit…

Bon, c'est clair, retournons à la source, pour lire le livre d'origine, celui de Youcef Dris! Histoire de couper l'herbe sous le pied du plagiaire,et de rendre à César... ce qui appartient au véritable écrivain et auteur. Il se trouve facilement, ce "livre originel"?